Sous les décombres des immeubles qui avaient servi de perchoir au Démon à neuf yeux se trouvait Tsukinoko, sortant de son malaise. Seule, alors que les habitants avaient déserté les rues. Ses yeux brillaient dans la pénombre, devant les reflets des flammes qui grimpaient aux immeubles. Le regard aussi vif que son esprit, elle grimpa sur le toit d’un immeuble pour prendre de la hauteur. Les cendres tombaient sur le village, comme une sombre neige qui camouflait les vies arrachées, un linceul étouffant les derniers rales. L’enfant observait les alentours et pensait reconna?tre le village d’Hanamaru, mais elle était incapable d’expliquer sa présence ici. Ni l’origine de ce massacre. Ni où pouvaient être ses parents. Sans hésiter, elle s'élan?a dans le village à leur recherche.
Au détour d’une ruelle, elle tomba sur deux soldats qui sortaient un cadavre coincé sous un mur. Le mur retomba lourdement sur la chaussée et Tsukinoko s’arrêta un instant, prise d’une étrange sensation dans l’estomac, un sentiment qui lui fit baisser les yeux.
Les soldats jetèrent le cadavre sur d’autres, puis s’appuyèrent sur leurs genoux pour reprendre leurs esprits. L’un d’eux entendit un soupir d’effroi et s’approcha de Tsukinoko. Terrifiée, elle s’enfuit et escalada les immeubles avant que l’un d’eux n’arrive à l’attraper par le bras. Son collègue la tira par le pied, laissant sa tête pendre dans le vide pour éviter ses coups.
- Calme toi, on ne te veut pas de mal. Tu ne peux pas rester ici, c'est dangereux, dit-il d’une voix brisée.
- On va t'emmener dans la montagne avec les autres.
-Mais qu'est-ce qui lui prend ? demande-t-il discrètement à son collègue alors qu’elle se débattait.
- Je ne sais pas, peut-être parce que tu la tiens par les pieds au-dessus du vide ?! lui souffle-t-il. Eh, où sont tes parents ? siffle-t-il à Tsukinoko.
N'aie pas peur, tout ira bien. Ne révèle jamais qui nous sommes, ton père et moi, d’accord ? Ne parle plus jamais de nous, d'où tu viens. Oublie-nous, ment, invente-toi un passé et une nouvelle identité, mais ne révèle jamais notre identité à tous..
Le soldat soupire devant le mutisme de Tsukinoko et échange un triste regard avec son collègue.
- Viens avec nous, on va te mettre à l'abri, lui dit-il pour la rassurer. Ky?me est sorti du village, mais il pourrait revenir à tout moment. On t'emmène voir tes parents, ils doivent être avec les autres, à l'abri, ment-il na?vement.
- Ky?me ? s’étonne-t-elle. Putain mais lache-moi, j'ai mal à la tête à la fin ! crie-t-elle brusquement en réussissant à retomber sur ses pieds.
Tsukinoko pestait en réajustant ses habits, une robe noire à manches longues, dénudée de sa longue ceinture en cuir qui s’était dénouée de sa taille dans le chahut. L’abri dont parlaient les soldats était dans une immense grotte, cachée dans la montagne surplombant le Village, sur laquelle étaient sculptés trois imposants portraits.
L’endroit était plein de villageois, beaucoup pleuraient, d'autres essayaient de se rassurer. Au bout d'une heure de recherche, ses parents n'étaient pas là. Assise dans un coin, Tsukinoko échafaudait un plan pour s'enfuir. Elle finit par escalader le mur pour observer les environs par les ouvertures creusées dans la pierre, servant d’orifices aux visages rocheux, et mémorisa la vue et les artères du Village pour ne pas s’y perdre.
Le jour se leva et l’annonce de la capture de Ky?me autorisait enfin les habitants à sortir. Dans le calme et la fatigue après la dure nuit, les habitants avan?aient d’un pas anxieux vers la sortie, où deux soldats recensaient la population. Tsukinoko s'enfuit dans les rues du village sans se faire attraper. Ses pieds-nus se faufilaient entre les débris au sol, mais elle s'étonnait que personne ne la remarque, elle qui se sentait comme une proie.
Un jeune gar?on, en pyjama, assis devant les restes d’une maison était désormais un pauvre orphelin, s?rement comme Tsukinoko. La gorge nouée, elle ravale ses sanglots, car ses propres parents ne pouvaient être morts. Pourtant, depuis la veille, des visions terrifiantes de ses parents mourants la perturbaient.
Ce n’étaient que des cauchemars. Compatissante du désespoir de ce gar?on tout en déniant le sien, elle repartit sans faire de bruit, persuadée que ses parents étaient ici, quelque part. Le Démon à neuf yeux avait fichu la pagaille, et ils avaient d? se perdre dans la foule.
Tout en échafaudant des théories pour expliquer sa présence ici, Tsukinoko arpentait les rues, fouillant chaque boutique, chaque restaurant, chaque h?tel épargné. Mais le soleil se coucha et l’espoir faiblit. Elle se retrouvait seule, encore une fois. Les larmes montèrent, la peur camouflait la faim alors que la fra?cheur de la nuit venait lui glacer les pieds. Sa mère lui avait ordonné de se débrouiller en attendant qu'ils reviennent avec son père, et elle se laissa alors porter par ses pas.
Arrivée au pied de la montagne aux visages sculptés, Tsukinoko grimpe à même la roche. Un arbre immense tr?nait au sommet, les branches tendues au-dessus du vide. C'était un camphrier centenaire, esseulé de la forêt qui entourait le Village. Les racines imposantes s’échappaient ?à et là du sol pour défier le vide. Les moins téméraires pourrait avoir le vertige en grimpant au sommet, mais le feuillage imposant et les branches solides pourraient cacher tout un régiment. Les racines recouvertes d'herbes et de fleurs remémorèrent les champs fleuris derrière la demeure de Tsukinoko et son sourire dispar?t aussit?t, mélancolique.
Au-dessus du vide, le perchoir lui offrait une vue dégagée sur le Village et ses environs. A droite, les visages creusés à même la roche lui tenaient compagnie, Le premier appartenait à Hashirama Anba, le premier chef. Le second à son frère cadet qu’elle reconnaissait d'après les descriptions de sa mère, gravé à sa droite. Les deux autres visages lui étaient inconnus. Il s’agissait de Haruo Sato, le 3ème chef. Perdue dans ses pensées, Tsukinoko soupirait longuement, se demandant ce qu'elle faisait ici, pourquoi ses parents venaient-ils pas la chercher, étaient-ils retournés à la maison, sains et saufs ?
Demain, elle rentrera chez elle.
Au petit matin, réveillée par son ventre qui gargouillait de faim, Tsukinoko attendait que les passants en contre-bas s’en aillent pour descendre discrètement. Finalement, elle rebroussa chemin et s'éloigna en direction de la forêt, jusqu’à sentir une tension devant elle. Les yeux fermés, elle devinait un champ de protection qui englobait le Village pour le protéger des intrus. Mieux valait ne pas prendre le risque de se faire repérer en traversant le champ, et d’être suivie.
Les commer?ants préparaient leurs étals dans les rues épargnées par l’attaque. Des poires bien m?res étaient soigneusement rangés dans une caisse devant une boutique. La faim se faisant trop oppressante, Tsukinoko s'approchait naturellement mais re?u un grand coup sur la tête avant de pouvoir mettre la main sur les fruits. Le marchand repoussait Tsukinoko du pied comme on chassait un chien galeux, jusqu’à ce que sa femme sorte de la boutique, alertée par ses cris. La marchande prit pitié d’elle, recroquevillée pour se protéger la tête et les larmes aux yeux.
Tsukinoko avait le visage et les mains pleins de poussière, sa robe était déchirée, ses pieds noirs et remplis de coupures à force d'avoir couru à travers le village sans relache. Livrée à elle-même et vivant dehors, comme de nombreux orphelins depuis l’attaque.
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- Sois gentil enfin, chuchote-elle enfin à son époux. Tu as de quoi payer ? demande-t-elle à Tsukinoko en s’accroupissant.
- Payer ?
- Est-ce que tu as de l’argent, pour payer les fruits ?
- Nan... J’ai jamais rien payé moi !
- Si je la nourrie je vais devoir nourrir tous les orphelins alors ?! grommelle le marchand.
La femme soupire puis donne deux poires à Tsukinoko malgré les ralements de son époux qui vocifère aussit?t.
- Maintenant va-t’en, que je te revois pas ici sale voleuse !
Enfin à l’abri, perchée haut dans les branches à l’abri pour dévorer les fruits, Tsukinoko élaborait déjà une nouvelle tactique de recherche. Le lendemain, Tsukinoko finit par explorer les derniers recoins du village. Jusqu’à un batiment nommé ? Académie ?, à moitié détruit.
Sa surprise f?t grande en découvrant ce qu’était une école, où elle n’avait jamais mis les pieds et vaguement entendu parlé. Une des salles ressemblait à un atelier de peinture. Les murs étaient tapissés de dessins en tous genre, chaque pupitre avait son propre matériel.
L’année dernière, ses parents lui avaient offert une mallette de peinture flambant neuve, pleine de crayons de couleur et d'acryliques, de pinceaux en poils de martre.
Chaque pièce de l’Académie avait été fouillée, à la recherche de documents ou d'archives, espérant trouver quelconque information. Accroupie dans une des salles d'archives à l’étage, documents et parchemins éparpillés par terre, un carton rempli de curieux parchemins retient l’attention de Tsukinoko. Les parchemins contenaient le programme des cours pratiques et théoriques que les professeurs devaient enseigner aux élèves chaque année.
L’incompréhension la rongea davantage, face à autant de parchemins sur une éducation qu’elle n’avait re?ue. Chacun était daté, et elle déniche celui qui semblait le plus récent, avec la date la plus poussée, même s’ils prévoyaient les cours pour des décennies à venir apparemment.
Un calendrier accroché au mur, à c?té de la fenêtre, daté de cinq années d’avance. Les yeux écarquillés, elle alternait entre le parchemin entre ses mains et le calendrier, tous deux de même date. Elle secoue la tête et se persuade que ce devaient être de faux documents, de la décoration pour un projet scolaire, avant d’entendre du bruit dans les couloirs.
Déjà loin dans les ruelles, en ayant laissée la pagaille dans la pièce, Tsukinoko refaisait les calculs en boucle dans sa tête. Arrivée sur son perchoir, elle était revenue avec davantage de mystères à éclaircir au lieu de réponses à ses questions. Morte de froid et malheureuse de la disparition de ses parents, le sommeil ne se joignit pas à elle, une fois encore. Toutefois, elle se sentait plus grande, plus agile, les bras plus longs et les jambes plus musclées.
La journée passa et Tsukinoko était occupée à rêvasser en attendant la nuit, sans descendre une seule fois de son perchoir. L’obscurité tomba sur le village et elle s’y engouffra à nouveau, discrète comme un félin. La salle de l’Académie était rangée, avant d’être mise sens dessus dessous à nouveau par ses soins. Sa récolte était maigre, mais elle s’attardait sur un livre d’histoire, au chapitre concernant un combat qui eut lieu au Canyon maudit. La localisation était toute proche de sa maison, et le combat concernait Jinmuya Karumin, utilisant Ky?me, contre Hashirama Anba. Cela ressemblait aux évènements d’il y a quelques jours, mais le lieu ne correspondait pas, et comment cela pouvait déjà être écrit, comme une prémonition. Elle fronce les sourcils, complètement perdue devant ce livre qui était bien réel. Elle arrache la page qui parlait de Jinmuya Karumin et Hashirama Anba ainsi que celles sur le combat et retourna dans son arbre. Un triste sourire se devinait à la lueur de la lune alors qu’elle déchiffrait les profils d’informations des deux adversaires. Il était écrit que le premier chef avait vaincu son père, et que sa femme avait scellé Ky?me dans un temple sacré, non mentionné. Leur combat avait été titanesque et avait même déformé le paysage, il y a plus de cinq ans. Ces deux prodiges étaient les fondateurs de Hanamaru il y a 40 ans, mais leurs idéaux avaient dévié et la discorde avait enterrée leur amitié, aidée par Ky?me.
Tsukinoko froisse les feuilles pour les enfoncer dans un des yeux de l'arbre, et ne plus les voir. Son esprit était en ébullition, ses yeux br?laient, ses pieds et ses mains étaient gelés et son ventre se tordait de douleur, implorant d’être rempli alors que le jour se lève à nouveau. Mais mieux valait attendre la nuit pour sortir et éviter de se faire repérer.
Les derniers badauds rentrèrent, la dernière lumière s’éteignit dans les habitations alors qu’une silhouette se faufilait entre les rues. Tout était en reconstruction, délabré, de nombreux quartiers abandonnés attendant de retrouver leurs habitants. Tsukinoko épanchait sa soif au robinet à l'arrière d'un restaurant, quand de vieilles odeurs de nourriture portées par le vent la titillèrent. L'eau lui montait à la bouche et elle essaya de forcer la porte du restaurant, sans succès. Désorientée par la faim, la colère et la frustration eurent raison d’elle et elle éventra une poubelle d’où s’échappaient les odeurs.
Elle fouillait frénétiquement dedans mais ne trouvait que des détritus immangeables qui lui soulevaient le c?ur. Ses mains étaient couvertes de souillures. Son éc?urement régurgité, la poubelle se retrouva recouverte de bile à cause de son estomac vide. Le dernier filet de bave craché lui br?la la gorge. Elle n'avait plus la force de continuer à fouiller les déchets et gardait les mains en l'air, le regard dans le vide et le menton dégoulinant. Toute la pression et l'acharnement des derniers jours retombaient brutalement sur ses épaules.
Cela faisait plus d’une une semaine qu'elle était ici et continuait ses recherches sans relache, dormant toujours d'un ?il, aux aguets. La situation n’était toujours pas expliquée, son dévouement se fragilisait alors qu’elle n'osait plus se montrer en plein jour, sa robe état en lambeaux et ses pieds encroutés.
Adossée contre le camphrier, les images de son père et de sa mère réapparaissaient dès qu’elle fermait les yeux. Elle hurlait de peur en silence, devant ce regard dans les yeux de son père, si terrifiant, et celui de sa mère, si triste. Et elle était au milieu d'eux, terrorisée. Rouvrant brusquement les yeux sans se rendre compte qu'elle pleurait, elle luttait pour ne pas s'endormir, pour que les grands yeux maléfiques de Ky?me ne viennent pas hanter ses songes. Comme toutes les nuits, ses cauchemars reprenaient de plus belle et elle dormait à peine quelques heures.
A court d’idées, Tsukinoko décida d’espionner les villageois. Le chef demeurait dans sa propre Résidence, un imposant batiment rouge gardé par des soldats au pied de la montagne, qu’elle apercevait de son perchoir. Les journées furent alors consacrées à surveiller la Résidence en réfléchissant à un plan d'intrusion, et les nuits à survivre contre ses adversaires invisibles.
Le soleil réchauffait le tronc marqué de soixante encoches, la dernière gravée ce matin. Le ciel palissait lentement - un nouveau jour, un nouvel espoir de vérité. épuisée, le corps en feu, Tsukinoko vacillait et s’agrippa à une branche pour ne pas tomber. Après une nuit blanche de plus, le vertige ne la surprenait pas. Mais il fallait faire vite, descendre la falaise avant que les habitants ne sortent. à quelques mètres du sol, une crampe foudroya sa jambe alors qu’elle posait le pied sur une pierre. Son chakra tenta de stabiliser sa prise, en vain. Elle chuta dans les buissons en contrebas. Les craquements n’étaient pas tous ceux de branches, et elle dut mordre ses lèvres pour ne pas crier. Hors de question d’abandonner si près du but.
La Résidence avait une entrée sur la droite, accessible par un grand escalier qui menait directement au deuxième étage. Alors que Tsukinoko grimpe les marches en courant, elle s'essoufflait trop rapidement et un mal de tête atroce la paralyse subitement. Appuyée contre le mur, elle se tenait le crane pour monter les marches, mais fini par se mordre la langue en trébuchant. L'adrénaline provoqua un faible regain d'énergie et elle gravit les dernières marches.
Cachée derrière l'entrée, son instinct lui dictait de prendre à gauche et, n'entendant personne, elle se faufile dans le couloir, silencieuse comme une panthère. L'adrénaline se dissipa après l'excitation et elle trébuche contre le large tapis bordeaux ornant le sol, les bras en avant. Elle refait quelques pas, tend le bras pour s'appuyer contre le mur mais ne l'atteint pas, et s'effondre sur le c?té.
Tsukinoko s’aide du sol, force sur ses jambes tremblantes pour se relever, avant de s'écrouler à nouveau quelques pas plus loin. Prise de vertiges et incapable de retrouver ses repères, affamée, le couloir semblait sans fin devant elle. Elle se met à suffoquer, tente de se relever, mais juste avant qu'elle ne chute encore elle trouve enfin le mur et s'y accroche désespérément. Le mur la rattrape en retour, donnant une agréable chaleur qui pressait son bras et sa main.
Sa vision floue ne lui laissait deviner qu’une vague silhouette, peut-être un gar?on. Portant le même type de masque sur le visage que celui qu'avaient les hommes qui l’avaient poursuivie ce jour-là. Elle se débat, hurle, réussi à le faire lacher, puis fonce.
Une vive lumière brillait au bout du couloir, éblouissante, pour guider ses pas. Petit à petit, deux silhouettes familières apparaissent à contre-jour, et des larmes de joie dévalaient ses joues alors qu’elle tendait désespérément la main vers ses parents, plus proches à chaque pas. Pendant que Tsukinoko hallucinait ses espoirs, ses yeux entrouverts avaient perdu leur étincelle, ne laissant même pas deviner la lueur d’espoir à laquelle elle se raccrochait une dernière fois.
Son corps ne produisait plus aucun mouvement, aucun son, allongé de tout son long sur le large tapis bordeaux. A son tour, son esprit à bout de forces s’abandonna à des désillusions plus réconfortantes.